vendredi 21 octobre 2011

Face aux périls écologiques, les urgences d'une planète surpeuplée

La Terre souffre de l'homme qui lui demande de plus en plus de ressources pour survivre et combler ses aspirations à la consommation. Les progrès technologiques permettront-ils d'éviter un épuisement total de notre planète ?

MANGER

 

Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la croissance démographique nécessitera une augmentation de la production agricole de 50 % d'ici à 2030 et de 70 % d'ici à 2050. Pour la majorité des experts, la Terre a le potentiel pour répondre à ces objectifs et nourrir les 9 milliards d'habitants qu'elle devrait compter en 2050.
Mais à quel prix ? En 2009, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) se sont livrés à un petit exercice prospectif. Dans le cadre de l'enquête Agrimonde, leurs chercheurs ont imaginé deux scénarios : dans le premier, les tendances actuelles se prolongent d'ici à 2050, et priorité est donnée à la croissance économique et au "bien-être immédiat des hommes" ; le second privilégie "la durabilité des systèmes agricoles et agroalimentaires".
Le premier cas de figure entraîne une hausse de 590 millions d'hectares des surfaces cultivées ou utilisées pour l'élevage (un milliard et demi d'hectares sont exploités aujourd'hui), une perte de biodiversité, une montée des problèmes environnementaux et une accélération du changement climatique.
Autant de phénomènes évités par le scénario alternatif. Mais celui-ci suppose une convergence mondiale vers un nouveau mode de consommation : les disponibilités alimentaires seraient alors de 3 000 kilocalories par jour et par personne (dont 500 d'origine animale), soit une diminution de 25 % en moyenne pour les populations des pays riches par rapport à leur régime actuel, mais une augmentation d'autant pour les habitants d'Afrique subsaharienne.
La nécessité d'une transition vers un nouveau modèle agricole mondial est de plus en plus évoquée, y compris au sein des institutions internationales : "Il faut garantir une transition des systèmes alimentaires et agricoles vers des systèmes moins gourmands en énergie fossile et moins polluants", écrivent ainsi les experts du Comité de la sécurité alimentaire, plate-forme des Nations unies, dans un rapport présenté lundi 17 octobre.
Dans 9 milliards d'hommes à nourrir (François Bourin, 432 p., 22 euros), livre qu'ils ont récemment cosigné, Marion Guillou et Gérard Matheron, qui président respectivement l'INRA et le Cirad, concluent sur six recommandations : accentuer les efforts de recherche ; mettre l'accent sur les partenariats internationaux et le partage d'informations ; réinvestir dans l'agriculture ; limiter la volatilité des prix des denrées alimentaires ; faire évoluer les modes de consommation ; repenser la gouvernance mondiale en matière de sécurité alimentaire.
"On peut gagner énormément, rien qu'en travaillant sur les irrationalités du système, affirme Olivier De Schutter, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation. On insiste beaucoup sur la nécessité de produire plus pour répondre à une demande en croissance. Mais on oublie les gaspillages alimentaires ou les biocarburants qui entrent en concurrence avec les cultures alimentaires..."
Selon une étude parue en 2009, 40 % de l'alimentation disponible aux Etats-Unis est gaspillée chaque année.

HABITER



Une personne sur deux vit en ville. Chaque année, le nombre de citadins augmente de 60 millions. En 2050, ils seront 6,3 milliards, soit 70 % de la population. Ces chiffres font tourner la tête. Il y a deux siècles, seules deux villes, Londres et Pékin, dépassaient le million d'habitants. En 1950, elles étaient 75 ; en 2008, 431. La planète compte désormais 21 villes de plus de 10 millions d'habitants.
L'urbanisation n'est plus un phénomène lié aux pays riches : alors que, dans les années 1950, Tokyo, New York, Londres et Paris occupaient les premières places dans le classement des villes, seule la capitale japonaise conserve désormais son titre de première agglomération mondiale, avec ses 36 millions d'habitants. Les grandes villes occidentales ont été supplantées par les mégacités indiennes et brésiliennes. Dans les trente prochaines années, le processus d'urbanisation proviendra surtout des pays en voie de développement, mais à une vitesse plus rapide que celle que connut l'Europe.
La physionomie de la planète est en pleine mutation, le Sud s'urbanise tandis que le Nord stagne. Dans les pays en développement, la population urbaine devrait doubler d'ici à 2050, alors que celle des pays développés, sous l'effet notamment de la baisse de la natalité, devrait diminuer. En un siècle, la population de New Delhi, en Inde, est passée de 238 000 habitants à 22 millions.
Dans un rapport de 2009 sur les 19 megacités de plus de 10 millions d'habitants, l'ONU souligne que ces géantes urbaines aggravent les inégalités sociales. Près d'un milliard d'habitants vivent dans des bidonvilles. Dans dix ans, selon les projections des Nations unies, ils seront 1,5 milliard, soit 40 % des citadins. La Chine et l'Inde - les deux pays les plus peuplés au monde - concentrent à elles seules 40 % des taudis de la planète.
Sur le plan écologique, tout reste à faire : les villes qui dévorent jour après jour de nouveaux espaces sont responsables de 80 % des émissions mondiales de CO2 et de 75 % de la consommation mondiale d'énergie. Les transports représentent un tiers des émissions de gaz à effet de serre.

APPROVISIONNER



En 2011, à en croire les calculs de l'ONG californienne Global Footprint Network (GFN), 270 jours ont suffi aux habitants de la planète pour consommer les ressources annuelles de la Terre. Il aura donc fallu moins de dix mois - le jour J est le 27 septembre - pour épuiser notre budget mondial. Ce seuil à partir duquel il faut vivre "à crédit" en puisant dans notre capital est franchi de plus en plus tôt. En 2000, il se situait début novembre.
Depuis 2003, GFN veut marquer les esprits en publiant chaque année l'empreinte écologique des milliards d'humains. L'indicateur est pionnier, et sa conception méthodologique souffre de biais, nul ne le conteste. Mais il a le mérite de souligner combien la croissance démographique pèse de plus en plus sur nos ressources naturelles, rendant leur accès de plus en plus conflictuel et destructeur.
Tous les jours, les effets de cette vie "à découvert" se font connaître : déforestation ; surexploitation des ressources marines ; accumulation de CO2 dans l'atmosphère ; stress hydrique... Les chiffres sont là. Treize millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année, soit l'équivalent d'un terrain de football toutes les deux secondes.
Le 28 juillet 2010, l'Assemblée générale des Nations unies reconnaissait l'accès à l'eau potable comme "droit de l'homme". Une avancée historique. Pour autant, que va changer concrètement ce consensus mondial, pour les 2,9 milliards de personnes qui ne disposent pas d'un robinet chez elles ou à proximité ? Et les 2,6 milliards privées d'un assainissement de base ?
Les terres agricoles sont, elles aussi, de plus en plus disputées. Rognées par l'étalement urbain, elles sont également lorgnées par les promoteurs des biocarburants et les investisseurs privés. Selon des chiffres publiés fin septembre par l'ONG britannique Oxfam, 227 millions d'hectares, soit la superficie de l'Europe de l'Ouest, ont été vendus ou loués dans les pays en développement depuis 2001, principalement à des groupes internationaux. La majorité de ces terres ne devraient pas être exploitées. Les acquéreurs préfèrent jouer la carte de la spéculation foncière.

SE SOIGNER


Soigner, mais aussi renforcer les systèmes de santé et développer une prévention des maladies pour 7 milliards d'êtres humains, ne constitue pas le moindre des défis posés à notre planète. Que ce soit du côté des maladies transmissibles, à commencer par l'infection par le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme (responsables à eux trois d'environ 5 millions de décès par an dans le monde) ou bien de celui des maladies non transmissibles, qui ont tué 36 millions de personnes en 2008, selon les Nations unies, la réponse internationale demeure en deçà des besoins.
Les progrès accomplis en termes d'espérance de vie moyenne, passée de 52,5 ans en 1950 à 69,2 ans en 2009, sont menacés par les taux élevés de mortalité infantile et le poids des maladies transmissibles et non transmissibles dans les pays en développement. De même, l'épidémie mondiale de diabète et d'obésité, qui touche de manière prépondérante les populations les moins favorisées dans les pays développés, représente un facteur de risque qui alimente tant les maladies cardiovasculaires que les cancers.
Les maladies cardiovasculaires arrivent en tête des causes de mortalité dans le monde : 17,3 millions de morts en 2008, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soit 30 % de l'ensemble des causes de décès. Contrairement à une idée reçue, 80 % des décès dus à des maladies cardiovasculaires surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, et ils concernent autant les hommes que les femmes. Le cancer, quant à lui, est responsable de 7,6 millions de décès annuels, soit environ 13 % des causes de disparition. Ce nombre pourrait s'élever à 11 millions en 2030.
Le sida a révélé le fossé grandissant entre la santé dans les pays riches et les pays pauvres. Une mobilisation internationale massive a été enclenchée depuis dix ans pour tenter de le combler. Si des succès majeurs ont été obtenus, avec la mise sous traitement de 6,6 millions de personnes infectées par le VIH, l'Onusida calcule que 9 autres millions d'individus auraient, eux aussi, besoin de médicaments antirétroviraux.
Au-delà des efforts ponctuels et des structures permanentes, comme le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la question posée est celle du développement de la prévention et du renforcement des systèmes de santé. Les échecs passés montrent à quel point il est indispensable de développer l'accès aux soins et à des conditions d'hygiène décentes pour freiner la propagation des maladies infectieuses et casser la dynamique croissante des maladies chroniques.

APPRENDRE




C'est une bombe à retardement. Provoquée par la crise économique, la baisse des aides et des investissements dans l'école risque d'être lourde de conséquences. Selon l'Unesco, il ne sera pas possible de généraliser d'ici à 2015 la scolarisation des enfants dans le primaire, pourtant l'un des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Si les chiffres montrent (en trompe-l'oeil) une croissance assez nette d'un milliard de dollars (724,7 millions d'euros) entre 2008 et 2009, "une bonne partie de cette hausse provient des prêts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), des prêts - et non des dons -, qui devront donc être remboursés", explique Elise Legault, chercheuse à l'Unesco.
Aggravant la situation, les Etats les plus influents dans les programmes d'aide bilatérale - qui représentent 67 % de l'aide à l'éducation de base en 2009 - réviseraient leurs dons à la baisse. "Certains pays, comme les Pays-Bas ou les Etats-Unis, prévoient des coupes importantes dans leur budget à l'éducation, or chacun d'entre eux donne environ 10 % de l'aide totale", estime l'Unesco. Principales victimes de cette moindre générosité ? Les pays les plus pauvres. Pour scolariser tous leurs enfants de moins de 10 ans d'ici à 2015, ils auraient besoin, chaque année, de 11,6 milliards d'euros. Ils n'en reçoivent que deux aujourd'hui.
La planète compte aujourd'hui 1,85 milliard d'enfants de moins de 15 ans, soit 26 % de la population mondiale. Demain, cette proportion ne devrait pas sensiblement varier. Mais une grande partie de l'humanité vivra en 2050 dans les régions du monde où la proportion d'enfants non scolarisés sera la plus importante. Actuellement, 30 millions d'enfants non scolarisés vivent déjà en Afrique subsaharienne et 16,3 millions en Asie du Sud et de l'Est. En 2008, le taux de scolarisation en Afrique subsaharienne était de 73 % alors qu'il atteignait 95 % en Amérique du Nord et en Europe occidentale.
Les guerres n'arrangent rien. Les deux tiers environ des enfants non scolarisés vivent dans des pays en conflit. Selon l'Unesco, une réduction de 10 % seulement des budgets militaires dans les pays en développement qui dépensent plus pour leur armée que pour l'enseignement primaire, parmi lesquels le Pakistan, l'Angola, le Tchad ou encore l'Afghanistan, permettrait de scolariser 9,5 millions d'enfants.

Rémi Barroux, Marie-Béatrice Baudet, Paul Benkimoun, Sophie Landrin et Gilles van Kote

Le monde


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Le climat, un sujet chaud pour les scientifiques du LSCE

RECHERCHE - Dans ce laboratoire, près de 300 chercheurs français décortiquent tous les indices permettant d'étudier le climat du passé pour prévoir le climat futur...

Au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), près de 300 chercheurs, dont une cinquantaine de thésards, planchent sur le changement climatique. Comprendre le climat du passé pour se projeter dans le futur et observer la façon dont le climat réagit aux variations de quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère est le sujet principal d’étude de cette unité mixte de recherche entre le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et l’Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines.

Comprendre la part de chaque facteur influant sur le climat

En étudiant les sédiments océaniques, les glaces polaires, le cycle de l’eau ou les cernes d’arbres, les chercheurs arrivent à reconstituer les variations de température sur des millénaires, en lien avec la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces observations alimentent ensuite des systèmes informatiques de modélisation qui permettent de prédire les variations climatiques futures selon différents scénarios: «On étudie l’impact de l’activité humaine sur le climat, par exemple que se passerait-il si tout le parc automobile devenait électrique?», illustre Cyril Moulin, le directeur du LSCE.
Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue au LSCE, explique que les recherches menées sur les évolutions passées du climat permettent aujourd’hui de mieux connaître le poids des différents facteurs influant sur les températures terrestres: «Le climat varie avec des forçages géologiques comme les poussières des volcans ou la dérive des continents, des forçages astronomiques comme les variations du soleil ou de l’orbite terrestre, et des causes intrinsèques comme les relations atmosphère-océan. Une grosse partie de notre travail est de comprendre les impacts de tous ces facteurs sur le climat.»

Difficile de prédire le climat du futur

Le plus difficile à modéliser est l’impact de l’activité humaine sur le climat, car les émissions de gaz à effet de serre qui y sont liées sont du jamais vu. «La tendance est à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère partout dans le monde, explique François-Marie Bréon, chercheur au LSCE. Pour l’instant, seule la moitié des émissions partent dans l’atmosphère, un quart est absorbé par les océans et un autre quart par la végétation. Nous essayons de comprendre pourquoi il y a cette répartition et si elle va perdurer.» Des «boucles de rétroaction» pourraient en effet accélérer le réchauffement, par exemple via l’acidification des océans ou l’assèchement des forêts: deux puits de carbone qui pourraient bien perdre de leur efficacité.
Le LSCE s’appuie sur les mesures du réseau Ramces  qui compte vingt stations de mesures des gaz à effet de serre en Europe, ainsi que des stations en Inde, en Côte-d’Ivoire, au Groenland et bientôt en Bolivie. Les données captées par les observatoires sont transmises chaque jour au LSCE qui les intègre dans ses bases de données. Les mesures servent aussi à suivre l’évolution de la qualité de l’air dans les villes, en coopération avec Airparif en Ile-de-France. Des glaces polaires au périphérique parisien, toutes les informations sont bonnes à collecter pour tenter de prévoir quel sera le climat de demain.
Audrey Chauvet 
 


La Greenpride, pour parler de santé et d'environnement en faisant la fête dans la rue

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